ENVIRONNEMENT – INTERVIEW : MOBILISATION POUR LES ÉLÉPHANTS DE LA FONDATION AIRAVATA

ENVIRONNEMENT – INTERVIEW : MOBILISATION POUR LES ÉLÉPHANTS DE LA FONDATION AIRAVATA

A l’occasion de la soirée de charité du 27 avril, au profit des éléphants de Ratanakiri, qui aura lieu à l’Ambassade de France, Pierre-Yves Clais a accepté de nous accorder une interview concernant les raisons de cet événement, et la nécessité d’agir pour participer à la préservation des éléphants du Cambodge.

CM : Vous avez créé la fondation Airavata (2015 je crois), ou en êtes-vous aujourd’hui ?
La Fondation Airavata* possède quatre éléphants, une femelle et trois mâles. Nos animaux vivent et se nourrissent dans la forêt de Katieng située à 10km au Sud de Banlung et qui fait quelques centaines d’hectares. Tous nos cornacs et employés sont issus de la tribu Brou.

CM : Vous avez parfois émis des doutes quant à l’avenir de l’éco-tourisme, toutefois, vous vous êtes lancé dans une aventure bien plus difficile et contraignante avec ces éléphants, quelle était la motivation profonde ? Coup de cœur, circonstances (éléphant tueur secouru) ou envie de réagir face au danger de disparition de l’espèce au Cambodge ?

On ne peut pas laisser l’amertume l’emporter, alors on se remet au boulot et on improvise ! De fait, la création d’Airavata m’a redonné le plaisir de vivre et de travailler à Ratanakiri. Je remarque moins les destructions environnementales rencontrées le long de la route… impatient que je suis de monter retrouver nos grosses bébêtes grises ainsi que la forêt de Katieng ! Cette forêt n’est certes qu’une petite forêt résiduelle mais c’est aussi une forêt pour laquelle on peut faire quelque chose ! Sa petite taille fait qu’elle n’est pas un véritable enjeu et qu’il y a un espoir très raisonnable de la sauver

CM : Connaissiez-vous les éléphants auparavant ou vous-êtres-vous formé ‘’sur le tas’’ ?

Non, absolument pas, seulement les chiens et les chevaux, ce n’est pas vraiment la même chose… Nous nous sommes donc formés « sur le tas », en demandant conseil aux uns et aux autres et je dois dire que c’est absolument passionnant, j’apprends tout le temps, et sur des sujets très variés ! L’éléphant est bien sur un animal, il faut donc s’intéresser sérieusement à la zoologie, mais « l’éléphant au Cambodge » est un sujet beaucoup plus vaste, qui touche au cœur et à l’âme du pays ! Sans éléphant, pas de Cambodge tel que nous le connaissons actuellement, c’est sur son dos que les Rois Khmers ont gagné leurs batailles, c’est grâce à sa force que l’on a pu édifier les temples d’Angkor. Il est partout, dans la religion, les légendes, l’artisanat, la menuiserie, les lieux dits… Du moins dans l’absolu, car dans la réalité, il est un roi déchu, dont le nombre est devenu si infime que sa survie même est fortement compromise ! Il reste en tout et pour tout 72 éléphants domestiques dans le pays, quand à l’époque d’Angkor, le Roi Suryavarman II en possédait 200 000…Il faut donc agir au plus vite pour regrouper les sujets encore capables de se reproduire et coopérer avec les pays voisins pour échanger des sujets à même de faire progresser les pools génétiques.

Pour le moment le « partenaire » est principalement la famille Clais et ses petits hôtels… mais avec le temps nous nous nous sommes fait beaucoup d’amis !

CM : Certains disent qu’il ne reste qu’une centaine d’éléphants sauvages au Cambodge, d’autres 200, quelle est la réelle situation aujourd’hui ?

Difficile à déterminer précisément, il reste 3 ou 4 zones abritant des éléphants sauvages mais ceux-ci sont en danger permanent. L’année passée un bébé de 5 ans qui avait été piégé à Mondolkiri est mort de septicémie dans les bras de ses sauveteurs, un autre est mort électrocuté à Koh Kong à cause d’une ligne à haute tension mise en place par une société chinoise, et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg, les braconniers agissent impunément au cœur de la forêt ! C’est pourquoi la question de l’éléphant domestique est devenue cruciale ; ne pouvant pas faire grand-chose pour la population sauvage, il faut porter tous nos efforts sur ceux qui sont à notre portée.

CM : Passez-vous beaucoup de temps dans le sanctuaire, comment se passe la journée d’un PY Clais avec ses éléphants ?

Avec l’organisation de la soirée à venir, je passe tristement l’essentiel mon temps en rendez-vous et assis derrière mon ordinateur… J’ai donc très hâte de pouvoir retourner marcher en forêt avec les éléphants et d’assister aux premières pluies qui vont la régénérer, faisant croître les jeunes pousses de bambous dont les éléphants sont friands !
CM : Travaillez-vous avec d’autres projets de ce type ?

Nous avons des relations amicales avec « Elephant Valley Project » à Mondolkiri, ils sont les véritables pionniers de la protection de l’éléphant au Cambodge ainsi que de très grands professionnels. Leur succès leur a d’ailleurs valu d’être beaucoup copiés, critiqués et jalousés mais pour moi, jamais égalés… C’est grâce à eux que nous avons pu sauver Bak Mai d’une mort certaine ! Suite à un mauvais concours de circonstances cet éléphant avait tué son ancien soigneur et ses propriétaires avaient résolu de le laisser mourir de faim.

CM : Faire vivre ce type de projet nécessite des financements, quels sont vos partenaires, comment parvenez-vous à faire vivre une telle ambition ?

Pour le moment le « partenaire » est principalement la famille Clais et ses petits hôtels… mais avec le temps nous nous nous sommes fait beaucoup d’amis ! Nous recevons maintenant une multitude de coups de mains venant de personnes très diverses et fort compétentes dans leur domaine.L’éléphant, c’est un peu comme l’amour, avant de l’avoir touché du doigt, ça reste très abstrait… mais quand on connaît personnellement Ikeo, Bak Mai, Bokva ou Kamsen, ça change tout ! L’éléphant suscite facilement l’enthousiasme… Vétérinaires, soigneurs, photographes, spécialistes du Bokator, du monde de la mode, professionnels du tourisme nous ont récemment rejoints et beaucoup aidés ! Toutes les compétences sont maintenant réunies, mais il nous manque l’essentiel, le nerf de la guerre ! D’où la soirée de levée de fonds que nous organisons le 27 avril…
Grace à la générosité des donateurs nous espérons pouvoir passer à vitesse supérieure : construire des bâtiments administratifs, améliorer les soins vétérinaires prodigués à nos animaux, borner la forêt de Katieng, organiser des patrouilles villageoises pour la protéger de la déforestation, former de jeunes cornacs, accueillir de nouveaux éléphants, mettre sur pied un club sportif au profit des minorités, développer l’artisanat et l’éco-tourisme, les idées ne manquent pas ! Et puis la province de Ratanakiri a vraiment besoin qu’on lui consacre cet effort.

CM : Parlez-nous un peu de cet événement, le premier du genre je crois, qui aura lieu à l’ambassade de France

Ce sera un événement exceptionnel à plus d’un titre, l’emplacement tout d’abord, la Résidence de l’Ambassade, un lieu superbe et chargé d’histoire que l’Ambassadrice a très gentiment mis à disposition de la fondation, il y aura aussi un concert chargé d’émotion puisqu’il s’agit de la première représentation du « Mothership » la nouvelle formation née suite au décès de Channthy Kak, la chanteuse de feu le « Cambodian Space Project ».

Marianne Clais et l’un des éléphants de la fondation Airavata

Nos amis Derek Bidault et Benjamin Sébire, tous deux Krama Noir de Bokator feront deux démonstrations de leur Art Martial sur le thème des postures inspirées de l’éléphant et puis certains des plus grands peintres du pays, Em Riem, Chhim Sothy et Nou Sary ont accepté de prêter leur pinceau pour défendre la cause de l’éléphant et de l’environnement, leurs œuvres seront donc vendues aux enchères ainsi qu’une statue d’éléphanteau réalisée par les élèves de l’Ecole Française Internationale. La Société Red Apron, sponsor de l’événement, mettra également de prestigieuses bouteilles de vins aux enchères et Jérémie Montessuis, l’un des photographes les plus en vogue à Phnom Penh est allé « mouiller le maillot » à Ratanakiri pour réaliser de superbes clichés de nos animaux et illustrer le puissant lien ancestral unissant les Khmers à l’éléphant. Certaines de ces œuvres en très grand format seront également vendues aux enchères tandis que d’autres, plus petites, seront disponibles à la boutique de la soirée. D’un point de vue gastronomique, ce sera à la hauteur de l’événement, nous avons voulu faire les choses à la Française : le chef de « The Plantation » nous concocte des petits fours dont il a le secret tandis que le Topaz nous gate avec un buffet somptueux !

CM : D’autres projets sur ce sanctuaire ? Avec les éléphants ?

Oui, tout plein ! Comme je le disais plus haut, l’éléphant est un « tout » au Cambodge, cet énorme animal est indissociable de la culture khmère et s’en occuper oblige à s’intéresser à beaucoup de domaines…La première chose est de ne pas se couper de la population dont les préoccupations sont souvent aux antipodes des nôtres, ils préfèrent de loin téléphones, articles de mode et mobylettes aux éléphants, couper du bois est pour eux une façon de financer les envies générées par la société de consommation. Ceci dit, on s’ennuie beaucoup à la campagne, les jeunes y boivent souvent plus que de raison et cette habitude dispendieuse est fort dommageable à la forêt, aussi nous est venue l’idée de créer un cercle vertueux grâce à un sport traditionnel qui passionne les foules au Cambodge, la boxe khmère ! Beaucoup de nos amis sont des « pros » de ce sport, compétiteurs mais aussi entraineurs et ouvrir un club sur place, au profit des villages environnants permettrait d’apporter de la passion là où il n’y avait que l’ennui. Le sport est indispensable aux jeunes, il les pousse à se dépasser, il leur enseigne la discipline nécessaire à la vie en société et puis les moins jeunes adorent regarder, conseiller. Les arts martiaux khmers sont véritablement un ferment d’unité nationale et Airavata serait comblé de pouvoir contribuer à cette cause.

Pierre-Yves et sa fille Marianne, à la rescousse des éléphants du Cambodge

CM : il y a une petite polémique sur la possibilité ou nom de monter en balades à dos d’éléphant, voulez-vous en parler ?

Oui, il y a en effet une tendance récente visant à diaboliser les asiatiques et leurs coutumes barbares… Des photos anciennes et souvent hors de contexte sont utilisées pour dénoncer toutes les activités liant les hommes aux éléphants, il y a certes eu des abus et il y en a encore, mais ils sont surtout dus au tourisme de masse ou à l’industrie forestière. Les chiens, les dromadaires, les chevaux souffrent quotidiennement de certains abus et il faut bien sur chercher à y mettre un terme mais sans toutefois interdire toute relation entre les hommes et les animaux, surtout quand-ceux ci sont aussi importants dans la culture et l’histoire d’un pays. Réformer, oui, ostraciser, non ! A mon humble avis, il y a de forts relents de racisme dans cette polémique, récemment encore j’ai vu les Khmers et les Thaïs se faire traiter de « mangeurs de chiens sans cœur », cela me hérisse et m’attriste en même temps, je connais trop les cornacs et leur passion des éléphants pour ne pas vouloir les défendre, et avec eux et toute l’histoire si belle et si triste du Cambodge, mon pays d’adoption.

Allons de l’avant, sauvons la nature et les animaux qui peuvent encore l’être, unissons nos forces, la planète n’a jamais été aussi menacée, nous le devons à nos enfants et à cette terre qui nous a vu naître !

*du nom de l’éléphant tricéphale, monture du dieu Indra, dans la mythologie hindoue.

Lien vers l’article complet

Environnement – Interview : Mobilisation pour les éléphants de la fondation Airavata

A lire également